Insolite
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Depuis le XVIIIᵉ siècle, le jardin du Palais-Royal est un lieu de promenade et une source d’inspiration pour les écrivains. De Diderot à Colette et Jean Cocteau, redécouvrez ce lieu magnifique à travers la littérature !
Ces mots, ce sont ceux de Denis Diderot dans Le Neveu de Rameau (1762). Le philosophe des Lumières est en effet un fidèle du jardin du Palais-Royal. Il y retrouve son grand amour, Sophie Volland, sur le banc d’Argenson, proche du Café de la Régence. En ce milieu de XVIIIe siècle, les allées et les bosquets sont l’un des lieux de rendez-vous favoris des Parisiens.
En 1781, Louis-Philippe Joseph d’Orléans fait construire de nouvelles galeries le long des trois côtés encore libres du jardin, désormais clos. Des boutiques s’installent sous les arcades, aux côtés des cafés et des théâtres. Au cœur de la capitale, le Palais-Royal joue un rôle déterminant à l'approche de la Révolution. En effet, le duc d’Orléans s’oppose à son cousin, le roi Louis XVI, et se montre ouvert aux idées réformatrices. Son jardin devient le refuge de plusieurs orateurs, qui s’expriment ici en toute liberté : les gardes royaux ont interdiction d’entrer !
On y croise notamment des auteurs et des journalistes, comme Jean-Paul Marat, ou Camille Desmoulins. Auteur de pamphlets incendiaires, celui-ci est à l’origine de l’insurrection populaire qui mena à la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. Et devinez d’où part ce soulèvement ? Gagné, du jardin du Palais-Royal !
Au cours de la Révolution française, le jardin du Palais-Royal continue d’accueillir une foule nombreuse en quête de divertissements. L’endroit est incontournable, y compris pour les visiteurs étrangers de passage. Laissons l’écrivain vénitien Giacomo Casanova nous en faire une description : « J’ai vu un assez beau jardin, des allées bordées de grands arbres, des bassins, des hautes maisons qui l’entouraient, beaucoup d’hommes, et des femmes qui se promenaient, des bancs par-ci par-là, où l’on vendait des nouvelles brochures, des eaux de senteur, des cure-dents, des colifichets ; j’ai vu des chaises de paille qu’on louait pour un sou, des liseurs de gazettes qui se tenaient à l’ombre […] » ( Histoire de ma vie, 1789-1798). Une atmosphère que résume parfaitement le romancier Nikolaï Karamzine dans ses Lettres d’un voyageur russe : « Le Palais-Royal s’appelle le cœur, l’âme, le cerveau, le résumé de Paris. » !
Au début du XIXe siècle, ce « résumé » est un joyeux mélange d’amusements et de commerces en tous genres. Magasins, salles de jeux, maisons closes : l’ambiance du Palais-Royal est aussi fastueuse que frénétique et dépravée ! Amateur de jeux d’argent, l’écrivain Honoré de Balzac fait partie des habitués. Il évoque d’ailleurs les lieux dans plusieurs de ses romans, tel La Peau de Chagrin (1839) : « Vers la fin du mois d’octobre dernier, un jeune homme entra dans le Palais-Royal au moment où les maisons de jeu s’ouvraient […] et sans trop hésiter, monta l’escalier du tripot désigné sous le nom de numéro 36. ». Avec Les Illusions perdues (1837-1843), il en fait toutefois un portrait peu flatteur : « En place de la froide, haute et large galerie d’Orléans, espèce de serre sans fleurs, se trouvaient des baraques, ou, pour être plus exact, des huttes en planches, assez mal couvertes, petites, mal éclairées sur la cour et sur le jardin par des jours de souffrance appelés croisées, mais qui ressemblaient aux plus sales ouvertures des guinguettes hors barrière. »
Ce chapitre de la vie du Palais-Royal prend fin en 1836, avec la fermeture des salles de jeux. L’édifice perd alors de son attrait et se trouve déserté. Moins de 30 ans plus tard, en 1863, Jules et Edmond Goncourt, critiques littéraires, notent dans leur Journal qu’« Au Palais-Royal, fréquenté par les gros provinciaux et les viveurs posés de l’orléanisme, le garçon a le service humble, discret, silencieux, des hommes qu’on prend pour servir dans les ministères. »
Quel changement, n’est-ce pas ?
Nouveau siècle, nouvelle ambiance… Dans la première moitié du XXe siècle, le charme et la sérénité du lieu attirent les intellectuels et les artistes. En 1912, l’autrichien Stefan Zweig réside quelque temps à l’hôtel Beaujolais. En 1926, c’est l’écrivaine Colette qui emménage au 9, rue de Beaujolais. « Obstinée à [son] Palais Royal comme un bigorneau à sa coquille », l’autrice de Gigi admire le jardin, qu’elle qualifie de « cloître laïc ». Elle quitte les lieux en 1929, puis y revient, définitivement, en 1938. C’est là qu’elle écrit l’essentiel de son œuvre jusqu’à sa mort, en 1954.
Parmi ses voisins, se trouve son ami Jean Cocteau, homme de théâtre et auteur des Enfants terribles et de La Machine infernale. Il loge au 36, rue de Montpensier, de 1940 à 1947. Ensemble, ils se retrouvent régulièrement pour déjeuner au restaurant de la galerie Beaujolais, Le Grand Véfour.
Tous deux sont restés des figures indissociables du Palais-Royal. Si bien qu’en 2019, l’allée proche de la galerie de Montpensier est rebaptisée « Allée Cocteau », tandis que celle attenante à la galerie de Valois prend le nom d’ « Allée Colette ». Dans ce « jardin des Belles-Lettres », les promeneurs découvrent également Les Confidents, 10 causeuses poétiques créées par le sculpteur québécois Michel Goulet. Ce dernier a aussi imaginé Dentelles d’Éternité, 18 Bancs à Poèmes arborant des citations de Colette et des vers de Cocteau.
À votre tour, maintenant, de découvrir « ce lieu [qui] déborde de vie, surtout à la pointe du jour et au coucher des oiseaux »…